Michel Etievent
Tu es la vigie. Tu es la mémoire de l’enfance pauvre dans le quartier nègre. Tu es ce qui bouge. Ce qui lutte et résiste. Il fait froid ce matin au bord du rail. Et même si le gel engourdit les doigts, les hommes savent le chant des hommes. Et c’est ta voix parmi des milliers. Parmi l’infinité qui ne soumet pas. Tu es la lutte. Les champs sont rouges du sang de ceux qui souffrent et sont morts. Les fusillés. Je te vois rouge comme le soleil de mai. Tu es la vigie. Tu es la mémoire. Le monde appartient à la cocaïne de la finance sur la cupidité des claviers. Le monde appartient à la banque de l’immonde. Et les sacrifiés le long du chemin mangent leurs mains devenus inutiles. Ces belles mains d’où jaillissaient le travail et l’amitié. Et tu te souviens de l’enfance. Tu te souviens des hommes devant les fours. De l’alcool et du chagrin. Il est temps depuis toujours que tu parles pour eux. Que tu sois la voix extraite du mâchefer des silences. Quand j’étais encore un enfant, dans la maison de garde-barrière glaciale, le long de la voie fer- rée, les conducteurs de locomotive donnaient un peu de charbon aux pauvres que nous étions. Ce n’était pas charité, c’était dans le profond le coeur de la solidarité. Je te vois ainsi. Tu es la mémoire dans ce trou noir et frénétique de la modernité. Tu es la vigie. ».
«Pour Michel Étiévent» de Patrick Chemin.