“La copiste et l’imprimante” de François Corbin, avec les photographies d’Astrid Pinon et de Zaza
Juin 2017
Je me réfugie dans la ferme où nous avons vécu, Éric et moi, et où nous avons élevé les enfants ; elle a besoin d’être aérée. L’odeur de renfermé rend l’air épais. Il est chargé des fragrances douceâtres de l’humidité : j’ai l’impression que ma langue recueille ce goût rance sur mes lèvres. Je ne suis pas entrée dans la ferme depuis les vacances de Pâques de l’an dernier. Pendant une semaine, Éric avait fermé son magasin. Je pensais revenir plus souvent. Un bon coup d’aspirateur serait nécessaire et ouvrir, faire des courants d’air. Je suis peu encline au ménage, les moutons et quelques cailloux sur le carrelage ne me gênent guère. Ce n’est pas le moment. Je passe dans toutes les pièces qui depuis notre départ voici huit ans sont restées à l’identique. Éric voulait en partant que nous laissions le plus possible la maison en l’état. Ce ne fut pas difficile car tout était vieux : les chaises de la cuisine que j’avais peintes ainsi que la table ; jusqu’à la literie dans les chambres.
« Et dire que mon grand-père a fait le chemin des Dames. » Eric ne s’est jamais senti émigré, mais ostracisé. De mon côté, je rêve fréquemment de l’allée qui conduit à Pimpéant ; ses chênes bicentenaires. Lorsque j’étais jeune saisonnière et que j’y marchais, je levais la tête, admirait leurs ramures et à-travers leurs frondaisons, sur le ciel bleu, je voyais des nuages cotonneux passer et ceux-ci me donnaient l’impression d’avancer et au bout de quelques instants le vertige. Alors je m’arrêtais, car ma tête tournait. A Pimpéant, je faisais du surplace et n’avais, en fin de compte que le sentiment du mouvement ; comme quand un train s’arrête après un long voyage, l’impression que le quai défile persiste quelques instants. Nous ne sommes pas partis pour l’aventure, mais par raison. Lorsque j’ai emménagé à Ostende, j’avais des frissons dans l’âme, j’avais la mauvaise conscience d’être une émigrée économique, à l’instar de ces pauvres diables qui traversent la méditerranée au péril de leurs vies et souvent s’y noient. Ceux qui en réchappent débarquent sur les plages, le ventre creux et les poches vides.