Le Masque et la Plume, un texte de François Serrat
Le Masque et la Plume
Trottinant derrière mon chariot de gladiateur d’Aux Champs, le Masque de protection sur le nez, sur la bouche, cherchant désespérément un souffle d’air, un filet d’oxygène pour mes pauvres poumons enfumés de bouffées de Havane, me voilà absorbé dans la file d’attente interminable de chenilles processionnaires aux portes de l’Arène de la Consommation.
Seuls quelques grognements sur d’étranges boites noires portées à l’oreille donnent un semblant de vie à ces marionnettes actionnés par les fils du Destin et tout au long, en silence, des Masques vous observent, frontière infranchissable entre le visible et l’invisible, yeux lumineux ou vides, le regard immobile. Point de Masques de clowns, qui me terrorisent toujours, point de Masques de séduction, ou de Masques qui font peur, mais le Masque rituel, le Masque de protection comme le disait ce coquin de Casanova qui en connaissait un rayon sur la Mascarade…
Le Masque rend anonyme, le Masque rend seul.
Nous sommes dans un théâtre Nô, sans voix. Le Masque nous coupe la chique. Ah ! Ouvrir une bouche immense dans le Masque de pierre et chanter Homère à Athènes, s’affubler de Loups multicolores et jouer Goldoni à Rome dans une Commedia Dell’Arte endiablée, danser sous un Masque d’ébène, de cordes, de plumes et de poils la saison des pluies en Afrique jusqu’à la transe, jusqu’à l’oubli, les petits chariots voltigeant dans les airs…
Bon, mais il ne faut pas avoir peur du Masque, cloué au mur, le Masque est bête. Le Masque ne vit que quand il est porté, dit-on. Quand nous portons un Masque, il nous porte, et quand il vit en nous, il reste une énigme : qui suis-je dans le miroir ? Qui est-ce ?.
Et oui, attention ! le Masque peut rendre fou. Celui qui a connu le Carnaval de Dunkerque, la Bande déchainée, les Masques collés par milliers les uns aux autres, les hurlements et les harengs saur sur le crâne déplumé, celui-là est dispensé des rites de scarification. Et puis, on peut se tromper de Masque, porter un Masque qui vous veut du Mal. Je me rendis un soir à un bal, masqué en Homme Invisible d’une bande Velpo blanche enroulée sur le corps de la tête aux pieds, je suai sang et eau et mon pouvoir de séduction fut fort mis à mal : je restai invisible toute la soirée. Je déconseille ce Masque.
Eh ! Halte-là, nom d’une pipe en bois, la petite blonde là-bas qui s’avance démasquée, le visage nu, et qui double tout le monde ! La chenille gronde. A la queue ! Ah, pardon, madame l’infirmière, passez je vous prie…lorsque l’heure du grand tubage interviendra, je serai fort aise de voir votre gros Masque chirurgical tout blanc et translucide… La chenille s’endort doucement, les Masques ronflent et dodelinent de la tête, prêts à verser dans le panier.
Alors on rêve aux Masques de l’enfance, le Masque de Zorro le préféré, beau Masque d’aventures, Belphégor le terrifiant, Fantômas le rigolo, « le Masque de la Mort Rouge », « les Yeux sans Visage » cet extraordinaire film de Franju, « the Mask » de ce fou de Jim Carrey, les fabuleux Masques d’Or des momies égyptiennes, Le « Masque de Démétrios » ce superbe roman d’espionnage d’Eric Ambler, Scream, Batman, que je n’aime pas, ils font trop peur, le Masque Loup de ce benêt de Tom Cruise perdu au milieu de cette sinistre cérémonie secrète d’ « Eyes wide shut », de Stanley Kubrick, beau film sur nos Masques intérieurs masqués…Les Masques qui défigurent Orlan, cette artiste qui se greffe dans le visage, sous la peau, des bourrelets de silicone, Masques multiples d’un même visage déformé…Il est aussi des Masques très doux, Masques d’argile de la gentille esthéticienne qui épousent le visage et affinent la peau, les Masques aussi peuvent faire preuve d’humanité… Et puis il est un Masque que je chausse avec un plaisir de gosse, un masque de chevalier intrépide, un Masque qui vous fait sortir de soi : sous le casque, la Cagoule du motard. Un Masque étrange, fou d’ivresse, de vitesse et de Liberté !
Pour l’instant, tout petit sous mon Masque aux mignonnes fleurs rouges sur fond noir, agrippé à mon chariot de plastique, j’attends toujours humblement le signal du départ. Les Masques ne me regardent pas. Pourtant, je me suis fait beau. On m’ignore sous mon masque.
Alors, je vais les démasquer, je vais me confectionner un Masque de Tigre de Sibérie, aux dents de sabre et aux yeux phosphorescents, bas les Masques, ça va saigner !
Portez-vous bien et sortez masqués !
François Serrat
Le Masque et la Plume de François Serrat disponible en pdf