Lire le dernier livre de Stéphane Beau : – 366 – APHORISMES ET PERILS

Portrait d’un auteur à la mélancolie majeure
Voici -366- aphorismes et périls de Stéphane à Gros textes. Nouveaux aphorismes écrits au long cours d’une année. Un par jour pour filer la pelote des mots, des ironies, des pensées, des tristesses de vivre, des instants de poésie, de regard sur soi, des miroirs sans images, de philosophie de l’instant, du politique sans âme, de l’humour au passage, de joie exacte au rendez-vous de l’aventure quotidienne… Un aphorisme, un péril par jour. Ce livre vient après La semaine des 4 jeudis, anecdotes et aphorisme (Gros texte en 2011) et Un Merle sur le tilleul, aphorisme (en 2013, Petit véhicule). L’aphorisme numéro 3 du mois de novembre me fait l’obligé de l’auteur. Voici pourquoi: il est écrit ceci: « Existe-t-il un lien étymologique entre la “moue” française et la “mouth” anglaise? Pas le courage de vérifier? Je laisse aux lecteurs de cette note le soin de s’en charger. » Je n’ai pas vérifié si vraiment il y un lien étymologique mais il y a des différences et des points communs. Mouth veut dire bouche et faire la moue tient de la bouche aussi. Les lèvres se rapprochant pour signifier quelque chose comme un désaccord ou une ironie ou une différence avant de dire peut-être ferme ta bouche sinon ta gueule et cela dit en anglais aurait tout son charme. Ainsi un lecteur attentif peut redonner du courage à l’auteur.
Autant dans les livres cités plus haut de Stéphane, j’avais perçu la filiation avec un de ses maîtres Jules Renard, autant dans ce dernier né j’établis un lien avec Emil Cioran qui écrivait dans Syllogisme de l’amertume par exemple: “Ne se suicident que les optimistes qui ne peuvent plus l’être. Les autres, n’ayant aucune raison de vivre, pourquoi en auraient-ils de mourir ?” ou encore ” Nul être soucieux de son équilibre ne devrait dépasser un certain degré de lucidité et d’analyse.” Le mot est écrit: “amertume” et ce mot par certains côtés ressemble à ce livre. Mais ce n’est pas ce mot au fond qui qualifie les impressions que donnent ce -366-. Se gravent en moi alors le mot “mélancolie” et les mots « haute mélancolie ». C’est un portrait de l’auteur revu et corrigé par un an d’écriture et par lui-même qui se dessine, se dérobe à chaque aphorisme. C’est une expérience singulière que livre, décline la vie de l’auteur, sa vie, la vie des mots, ses mots. Quand il parle de lui au singulier très vite je m’aperçois que cela peut toucher à l’universel. Ainsi “j’ai parfois l’impression d’être dans cette vie comme une sentinelle oubliée”,” Une certitude n’a de valeur que si elle porte en elle le germe d’un nouveau doute”, “Tous ces éclats de mots, tous ces éclats de moi, je les vole un par un, patiemment, au temps qui passe”, « J’ai parfois le sentiment d’être entré par effraction dans ma propre vie”. Ce qui est signifié là sensiblement et profondément est le lot de tous mais ignoré par la plupart des gens.
Bien sûr, j’entends le mot péril du titre comme un péril que l’auteur vit et qu’il offre au grand jour de l’intelligence du lecteur diligent. je citais Cioran. L’aphorisme 6 du mois de Mai: “Trop de noir/Pas assez de vie/pas assez d’espoir/Trop d’ennui/C’est ainsi/Il me faudrait revoir/Tout mon plan de vie” est sur cette ligne Cioran comme un dialogue à distance. Chaque aphorisme de ce recueil est miroir caché de lui-même à l’image insaisissable, voulu? non voulu? comme des portes qui se refermeraient aussitôt sur lui-même et sur elle-même. Car ces aphorismes-là sont issus d’un mémorialiste du temps arrêté qui continue pourtant sa route là-bas dans une étrange forêt de signes. Mais de quoi est faite cette haute mélancolie qui habite son livre: d’une blessure adolescente évoquée au passage mais jamais guérie au fond de son âme? (Lisez l’aphorisme 20 du mois de février), de ce doute qui l’habite et le ronge peut-être constamment? Partout au fil des mots les graines de mélancolie se diffusent et sont prêtes à éclore ou à disparaître dans le sable du temps. Ce doute est le doute de la brume ou de la clarté nocturne comme une lucidité qui se cherche. « La liberté? C’est un pont entre deux oppressions » écrit Stéphane. Sur ce pont, quels sont les rendez-vous possibles? Ceux du doute et des certitudes, de la certitude et des doutes. L’un fustigeant l’autre dans un combat sans merci? « Toute recherche de certitudes ne peut s’appuyer que sur trois principes: le doute, le doute et le doute » poursuit-il. Mais le doute n’a-t-il pas besoin de certitudes pour nourrir la certitude d’être un doute? Alors je préfère moi lecteur me nourrir aux sources de certains aphorismes qui me vont comme un gant. Ainsi « une troupe de Mésanges à longue queue vient faire une pause sur les branches de mon cerisier: la journée est sauvée », « Un rouge-gorge/perle de feu/au coeur d’une forêt/D’immeubles/Minuscule/Il embrase l’espace d’un instant/Toute la cité ». Voilà un chemin ouvert sur le Tao. Le Tao est loin du doute et des certitudes comme la Poésie est une femme étoilée. C’est cela qui compte avec ou sans Stirner. Uniquement. J’enjambe la balustrade du pont et je fais le pari qu’il me poussera des ailes, à mes risques et périls. J’imagine Stéphane toujours rêvant sa nuit près du souterrain secret qui « s’ouvrait en traçant la lettre Oméga sur le mur » et s’aventurant sur les chemins de contrebande. Ses romans d’ailleurs ne font que raconter ces sentiers-là: la recherche des solitudes éblouies. Stéphane est vraiment un poète. Cela ne fait aucun doute.
Le 17Avril 2017, jour de Pâques.
Luc Vidal
Pour commander le livre sur le blog
Stéphane Beau, Dilettante et Papivore