Bernard Victor Chartier : l’oeil bijou, mirages, haïkus, collages
Sur un banc de fin octobre neuf feuilles d’un vécu de sycomore, confidentes d’amours adolescentes.
Neuf muses.
Surtout Erato.
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– Je cherche à m’enivrer de ton mystère. – Comment es-tu parvenu près de moi ? – Par la porte des nuages, surtout les resplendissants. – Alors, demande le sésame au rouge-gorge.
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Derrière la maison basse où je suis né ce ruisseau accompagné de peupliers noirs, des éventuels que j’ai croisés, ces belles que j’aurais aimé serrer dans mes bras, à jamais mon regret de ne pas avoir écrit Voyelles, et puis…
Je m’étends au milieu de mes souvenirs, je les inhale comme un rhum vieux du Venezuela.
La passiflore et mes souvenirs
sont du même jardin.
À proximité de son Anjou tutélaire, Bernard Victor Chartier vit dans le bocage sarthois. Verger, jardin, fleurs, arbres et oiseaux l’invitent à la méditation et lui soufflent son inspiration.
Amateur de longue date de collages et de textes courts – poèmes, haïkus et kôans – gourmand des mots, écrivain à ses heures de soleil, il traque sans cesse dans ses textes ce qu’il appelle « la juste note ».
L’oeil bijou est sa quatrième parution. Il y donne libre cours à son imaginaire, ses odyssées, ses mirages.
Dans le jardin de l’oeil bijou, préface de Luc Vidal
La poésie de Bernard Victor Chartier avec cet oeil bijou se lyrise, s’évade, colonise d’autres territoires. Le poète devient le lyncée de sa barque-poésie. Son domaine habituel est le haïku et son usage précis et précieux. Les collages d’ailleurs montrés dans ce livre sont analogues à la plasticité des images poétiques de ses haïkus, précisément. En lisant, en cheminant dans cet univers, je remarque qu’il s’agit beaucoup plus que d’une pure poésie d’images et d’instants poétiques ou d’une esthétique du langage qui marqueraient son univers. Ce livre raconte un récit, une vie de sentiments, la relation intime d’un homme poète avec les battements du monde. Se laisser pénétrer par la poésie de Bernard Victor c’est vivre une lecture à nulle autre pareille. « toc toc toc toc toc / les gouttes d’eau lancinantes / sur les coeurs inquiets », ce haïku révèle l’oeil et l’oreille d’un poète résolument attentif à la beauté du monde. « la griffe du gel / enrhume la passiflore / et le serin cini » cueille les saisons présentes comme une cinquième saison permanente dans son coeur. Je pourrais commenter à l’envi ce réseau lyrique dévoilé par ce recueil où le lecteur marche, découvre des chemins de vie et de rêves éveillés.
Nouveauté, nouveauté ! la poésie de Bernard Victor Chartier s’amplifie, développe des lignes d’erre que je ne connaissais pas. Aux haïkus s’ajoutent des poèmes plus longs, plus souples, développant des instants souriants de légèretés et de profondeurs inédites. Là, j’y vois plus un véritable art poétique qu’une simple succession de haïkus ne peut révéler. Ce poème : « La pointe d’un sein / et des lèvres égarées dans des ramages bordeaux, / gravures sur un monolithe sans âge / dressé au coeur d’un parc asphyxiant. / Deux elfes bleus dansent autour. / Pourquoi chercher à comprendre / sauf à provoquer de pures coïncidences » transforme le poète en chercheur du silence et fait de lui un amoureux total de l’exactitude langagière.
Ce que je ressens à lire, relire, à dire et redire à voix haute ou murmurée cette poésie, c’est d’être au cinéma. A l’évidence la parole poétique de l’auteur est écrite avec une caméra. Rencontrer Rabelais, Georges Brassens, Ronsard, Baudelaire et ses merveilleux nuages, Paul Gauguin et ses baigneuses, le musicien Pergolèse et son Stabat Mater, Massenet et sa Méditation de Thaïs, l’Andante 21 de Mozart au sein même de l’oeuvre ne peut qu’incliner le lecteur à s’abandonner à une douce et fertile rêverie.
La courtisane Thaïs ne serait-elle pas alors au fond de son coeur l’incarnation vivante de la Dame poésie ? Ce clown « tout vêtu de blanc étoilé », ce petit d’homme, « pêcheur d’étoiles » à la manière de l’enfant « voleur d’étincelles » de Tristan Corbière réconfortent nos vies. Chaque poème de ce livre sont les cartes-arcanes de ses souvenirs et deviennent ainsi les nôtres, des invitations souveraines à venir vivre les noces perpétuelles de la vague et du sable, du ciel et de la terre. On n’est pas obligé de croire le poète quand il affirme que l’escalier qui conduit à sa lune essentielle est interdit aux rêveurs et aux poètes. Je ne demande qu’à voir et entendre surtout qu’à l’instant même un rouge gorge vient de m’offrir son sésame et les clés du jardin.