C’était trois mois aux avant-goûts d’éternité que je venais d’y passer à Saint-Laurent, quatre-vingt-dix jours à ne pas oublier ; et, en refermant ma valise, j’eus le pénible sentiment que, tous, je les abandonnais. Je laissais là toute la misère physique et morale des vieux, abandonnées aussi bien de leurs familles que de la médecine, toute la douleur des cancéreux qui allaient mourir, et qui souffraient en attendant vraiment qu’un médecin vienne les soulager ou leur apporter un mot de réconfort. Je l’avais vue et même touche du doigt, cette triste réalité qu’on avait peine à imaginer , assis confortablement sur les bancs de la faculté à écouter l’agrégé d’un professeur, qu’on ne voyait jamais, nous débiter son cours avec ennui. Maintenant je la connaissais, j’avais sur elle cet avantage. (extrait du roman)
Il y a bien longtemps maintenant, j’entrai en Médecine plein d’espoir et d’illusions. La réalité eût tôt fait de balayer mes rêves pour me mettre en face de la vraie vie. Je voulus en témoigner dans l’espoir que tout cela change…Quarante ans après, nous en sommes au même point : trop de vieux dont on ne sait que faire, des hôpitaux sans médecins, des services sans infirmières… en fait, un demi-siècle s’est écoulé et rien n’a changé.
Note de l’auteur : René Alain Roux
Ce roman , La meilleure médecine du monde est dense, lucide et réaliste. Il aborde les thèmes de l’abandon, de la solitude, de la dépendance des personnes âgées. Mythe ou réalité ? l’auteur, médecin en exercice, a su avec pudeur dire sa passion et l’écoute de ces drames, garder sa mordante ironie pour un système qui tend de plus en plus à se déshumaniser.
Il est possible que le livre soit le dernier refuge de l’homme libre.
« Il est possible que le livre soit le dernier refuge de l’homme libre. Si l’homme tourne décidément à l’automate, s’il lui arrive de ne plus penser que selon les images toutes faites d’un écran, ce dernier finira par ne plus lire. Toutes sortes de machines suppléeront : il se laissera manier l’esprit par un système de visions parlantes : la couleur, le rythme, le relief, mille moyens de remplacer l’effort et l’attention morte, de combler le vide ou la paresse de la recherche et de l’imagination particulière : tout y sera ,moins l’esprit.