Marie-Claude Pietragalla : Une femme qui danse dans la nuit Capellia par Luc Vidal
Une femme qui danse dans la nuit Capellia, c’est Pietragalla. Elle danse, danse comme un hymne à la danse avec les louves et les loups de la tendresse. Doucement, gravement, légèrement. Ce que je vois là, c’est Icare qui ne se brûle pas les ailes. « C’est exactement cela » me répond l’ingénieur du plateau technique. Les soleils de la nuit accompagnent et favorisent la performance subtile et forte du corps-âme de Pietragalla. Performance n’est pas le mot juste. Récit serait le terme-thème approprié pour l’œuvre dansée, créée par Pietra, mise en scène par Julien Derouault, soumise à nos regards et nos oreilles. Seule en scène, scène fantastique, rêvante. Comme si très haut le texte dit, lu par Marie-Claude clamait ceci : « Ma danse est à tout le monde » à la manière de ce qu’avait écrit le poète René Guy Cadou : Mon enfance est à tout le monde.
Il y a assurément un phénomène de cristallisation qui opère dans le travail créateur de l’artiste à la façon de ce que Stendhal développe dans son livre De l’amour. Pietra a su et sait porter très haut son amour de la danse et de la vie dans cet aigle d’idéalisation qui bouge, avance, se métamorphose dans l’art concret et sublime de danser. C’est une fréquentation inlassable, discontinue depuis l’enfance du mot danser qu’elle peut offrir aujourd’hui totalement, les fleurs du silence et de la musique du corps. Le palpable et le sensible de la danse, de la musique et de la poésie-parole prolongent le fleuve des désirs qui se loge dans le cœur vivant et secret de l’artiste. Sans cela, pas d’écoulement souverain des sensations et des volontés créatrices. Voilà l’origine-source de cette œuvre de l’instant dansé, éphémère et sublime.
Tout s’élève et s’épanche en même temps vers les points cardinaux de sa création. Il n’y a pas qu’une seule horloge qui régit ce récit de danse, je dirai ce récit dansé. Il y a des horloges différentes des temps d’elle-même. Une femme qui danse se penche sur son passé en quelque sorte et ses pendules singulièrement coordonnent toutes les énergies du concert et de la scène. Apparaissent ainsi les mille visages de solitude, de ferveur, d’abandon, de retrouvailles avec elle-même. Les mots ont leur pesant de légèreté et de vérités dans le fil du spectacle. Ils mettent à nu la dame de la danse comme un coquelicot rouge sang et transparent qui transporte le cœur de la nuit dans le cœur de son jour. Au tout début, on entend Tchaïkovski. La scène est enténébrée et prépare l’émergence des lumières, le récit des mots, la présence de la voix de Pietra narrant quarante années de labeur et de vie. Histoire dansée, respiration libre, souffle lyrique de la vie. Le silence trouve sa barque étoilée.
La voix de Pietra tiendra en haleine le spectateur et fera de lui un grand attentif d’un bout à l’autre pour recueillir les fruits de son enfance, la complicité d’un père et de sa fille, les ors de l’opéra qui décrètent les étoiles, les grands noms de la danse de Rudolf Noureev à Maurice Béjart , le travail quotidien acharné aux gestuelles apprises sur la barre délivrant le corps magnifique, une mélancolie chaplinesque, les musiques du monde, du hip hop des banlieues, du jazz et de ses folles notes, de la musique concrète à la semblance de Pierre Henry, de l’électronique qui met le souffle et la voix de Pietra dans nos oreilles. Ô ! la gorge et ses bruits vocaux dans les temps retrouvés de la danse font de Pietragalla cet « animal mimant et dansant, cet être incarné et désincarné qui évolue au gré d’un rythme intérieur, d’un souffle musical, d’une conscience éclairée »**
Il est vrai que dans nombreuses créations de Pietragalla, l’artiste va chercher dans la part obscure de l’homme et de la femme les âmes, les corps déchirés, les tragédies du monde, les querelles des amants perdus. ICI, dans ce temps dansé comme jamais, les lumières qui rythment les différents tableaux sont infiniment discrètes et délicates.Elles sculptent le corps de la danseuse dans sa vérité et son théâtre. En voici un parmi d’autres : Pietragalla déroule un long tapis blanc qui traverse la scène. Là, le corps danse, dense, danse comme un diable d’amour « sous les sunligths cassés liquides » ***. Un triangle isocèle baigne alors la scène et le corps feu de la danseuse. Au fond du décor des mandalas mouvants ponctuent tous les jeux théâtraux du récit. Le titre choisi la femme qui danse m’évoque danse avec les loups de Kévin Kosner, l’histoire fabuleuse de cet officier nordiste qui choisit pendant la guerre de Sécession aux Etats Unis de vivre la sympathie fraternelle avec le peuple Sioux et de partager sa destinée avec Dressée avec le poing l’amour des véritables alliances. Ô peuple indien de la danse ! Aucun rapport me direz-vous entre ce film et ce spectacle Capellia. Et pourtant j’affirme mon propos. Aimer et danser ne sont que des rives synonymes. Car la femme qui danse, danse terriblement bien avec les loups et les louves des tendresses exaucées. Pietragalla est cette femme sauvage qui apprivoise le chant profond de la terre et le cœur des hommes. Sa danse guérit les blessures de l’âme et des corps.
Luc Vidal, Nantes le 16 décembre 2019
* Pietragalla dansait à l’espace culturel Capellia de la Chapelle-sur-Erdre le vendredi 13 décembre 2019.
** Ce que dit Marie-Claude Pietragalla d’elle-même (voir son site).
*** Léo Ferré dans La mémoire et la mer.
Pietragalla une femme qui danse dans la nuit Capellia par luc Vidal