“Noirs Dessins”, 1962 de Max Alexandre
Préface À mes enfants On est en 1962, au coeur des Trente Glorieuses. La guerre d’Algérie vient de se terminer avec les accords d’Évian le 18 mars. Le 3 juillet De Gaulle échappe à un attentat, le 8 juillet, scelle avec Adenauer la réconciliÉation franco-allemande et le 28 octobre, obtient par référendum la réforme de la Constitution. Ces rappels pour planter le décor d’une époque riche en bouleversements, en conflits, mais où la vie politique était l’affaire du plus grand nombre, où la militance avait un sens, où l’on croyait qu’il était toujours possible de faire bouger les lignes pour améliorer son sort et le bien commun. Encore marqué par le trauma algérien, en pleine reconversion professionnelle, je mettais à profit chaque moment de loisir pour élaborer, au Rotring et à l’encre de Chine, des dessins dits « sans paroles » dont le genre avait été magnifié par le dessinateur Chaval. Je rêvais alors de publication dans la presse mais les aléas du quotidien, la pression du professionnel eurent raison de mes projets. Il y a quelques mois, alors que je tentais de mettre de l’ordre dans des cartons de dossiers anciens, j’ai retrouvé ces dessins dont j’avais oublié l’existence depuis plus d’un demi-siècle. Que faire, qu’en faire ? Les détruire c’était comme me décerveler. Les publier ? Quel éditeur pour investir dans des crayonnages malgré tout assez datés pour certains. Qui se souvient que jadis les gardiens de la paix à vélo étaient baptisés « hirondelles », que sur les autobus parisiens à plate-forme l’usager pouvait demander un arrêt au conducteur en tirant sur une chaînette avec poignée ? En même temps, ces dessins, en rose et noir, témoignent d’un climat où chacun accèdait aux vertus du second degré, où l’enjolivement du temps était encore possible. Alors ? Alors quoi ? Sous Poincaré, j’aurais pu dire, comme les rad’socs, que j’ai cédé « à l’amicale pression de mes amis » et qu’il fallait publier. Foin de pareilles billevesées : j’assume, solitaire revendiqué, le risque d’un ouvrage, comme un grand, à 85 ans, risque partagé avec les Editions du Petit Véhicule, avec Luc Vidal, poète, infatigable promoteur de tout ce qui peut réenchanter le monde.
Max Alexandre
à l’humour Ces Noirs dessins, c’est tout un poème sans parole que nous offre le poète Max Alexandre. J’aime dans la poésie de Max son lyrisme d’effusion, sa capacité à faire chanter les mots dans le temps des temps. Il est fasciné par le temps, le passage du temps. Ces dessins retrouvés font des signes amicaux à ce tendre passeur de lumière. Ces dessins ont été fabriqués à la lueur du réel et du social et disent simplement son esprit aiguisé de l’observation des hommes et des femmes. Les thèmes abordés dans ces années-là sont pratiquement d’actualité. J’invite le lecteur à découvrir dans ces oeuvres dont voici la liste des thèmes : Divers, Photos, Cycles, Ad hoc, Aquatique, Curés, Enfants, Cadeaux, Bonnets à poil, Militaires, Médecine, Morts, Cartes postales l’esprit poète qui animent le coeur du poète-dessinateur. Il y a un humour décalé à la source des tableautins mise en page dans ce bouquin autour de la photographie ou de la coupe de cheveux, ou de la prise de vue d’un caméraman qui fait foisonner les oiseaux des départs ou bien encore le toréro cycliste ou enfin la sorcière montée sur un balai à fusées jusqu’au détournement de carte postales anciennes. Chaque opus déclenche un sourire de complicité ou de tendresse affichée. Je te remercie mon cher Max d’avoir confié au Petit Véhicule la publication de tes anciens sourires de jeune homme. Tu le dis bien dans ta préface qu’ « en même temps, ces dessins, en rose et noir, témoignent d’un climat où chacun accédait aux vertus du second degré, où l’enjolivement du temps était encore possible ». Aujourd’hui, alors ? Éditer ton livre tendrait à affirmer le contraire malgré ces temps marqués par ce verbe avoir qui mange un peu chaque jour le verbe être. Et tu croiras encore pendant longtemps au souffle des vivants. Sans cela, ce livre n’existerait pas.
Luc Vidal, le 16 mars 2019