Un article de Mireille Diaz Florian sur Orphée au rivage d’Evros, de Goerges de Rivas
Territoires du mythe
de Mireille DIAZ FLORIAN
sur Orphée au rivage d’Evros,
de Georges de Rivas
(Editions du Petit Véhicule)
Le livre de Georges de Rivas Orphée au rivage d’Evros, nous place dès le seuil « aux lisières du songe et du réel ». Le lecteur est, dès l’abord, saisi par le style incantatoire qui ne cessera de le hanter tout au long de l’ouvrage. Le choix rhétorique de l’épopée assumée jusqu’à l’emphase, opère comme un moyen de rompre avec une réalité pournous plonger dans un univers onirique où la psalmodie, la prosopopée font résonner les voix des héros et des demi-dieux antiques.
Mais, fondé sur la pérennité du mythe, le texte nous ramène au réel. La géographie du mythe se superpose étrangement à celle du monde contemporain, traversé par les routes des migrations. Orphée, Eurydice, Didon, Europe, Aristée foulent inlassablement les rivages de la Méditerranée, « mer d’Ulysse couleur lie de vin » où s’échoue, aujourd’hui, la cohorte des migrants « marcheurs en déroute ». On pourrait apercevoir Enée, fuyant une Troie dévastée, son père Anchise sur les épaules. Sur les mêmes rivages, de la Thrace, de la Grèce, aux plages de Carthage et d’Italie, abordent les hommes victimes de l’errance.
Georges de Rivas par le souffle lyrique, soulève les questionnements infiniment irrésolus, que l’épopée comme la tragédie, ont initiés. Des ombres nous enferment dans la fascination du mythe. Lecteurs de la fable, métaphore de notre temps, nous devenons les témoins impuissants, tels les dieux, qui de l’Olympe, ont regardé les ravages des guerres humaines.
La composition en spirale suscite dans sa poussée baroque, un double mouvement temporel où le lecteur appréhende en même temps les archétypes de l’épopée et la violence de l’actualité. A peine sommes-nous sous le charme de la lyre orphique que l’image médiatique de l’enfant mort sur la plage de Bodrum tourne encore dans nos mémoires.
La force du texte repose essentiellement sur la polyphonie. Autour du duo central d’Orphée et Eurydice, montent peu à peu, dans un mouvement ascendant, les voix de Didon et Europe, amplifiées par le choeur des Ombres Heureuses. Ce chant est précisément l’enjeu du recueil qui s’élabore sur le recours à la plus vieille tradition poétique où le poète est l’aède, tel Ulysse, récitant, dans la vaste salle du palais des
Phéaciens. Ainsi ces voix croisées vont-elles progressivement nous conduire à ouvrir « la substance obscure du temps » pour contacter, au présent, les images du désastre.
Mais le texte de Georges de Rivas ne peut se résoudre ni à la lamentation, ni à l’impuissance. Le chant, inscrit dans la puissance opératique auquel il emprunte la dimension scénique et l’hyperbole, incarne les récits qui instaurent l’émotion capable de redonner espoir. Les héros du passé dont le texte fait entendre la voix, traversent le temps pour soulever en nous, compassion et lucidité. L’épopée devient le recours
symbolique à la violence de l’Histoire. Orphée revient des Enfers, « auréolé de grâce pour triompher des Ténèbres ». Le territoire du mythe prend corps dans l’espace du texte pour nous confronter à notre réalité. Ainsi la voix d’Orphée ne s’est-elle jamais tue, puisque le poème la restitue, puisque le poème donne sens à toutes les traversées douloureuses pour les transcender en même temps qu’il ordonne, organise, dispose, laisse place à la progression orchestrale.
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