Les extraits du temps de Marie-Josée Christien, Les Editions Sauvages ( Collection Askell), 2009.
Ferons-nous un jour le voyage
à travers tous ces ciels
de plus en plus clairs
défiant toutes les lois de l’ombre
Nous sommes de la nature
de la brume
en quête d’un peu de chaleur
qui la dissipe
Mais nous nous voûtons
pour soulever l’ombre
et secouer le froid de nos épaules
A glaner les tessons
du temps
à chercher les éclats de verre
dans la poussière
on ne fait pas l’éternité
Voici un livre à la note juste et délicate. La bobine du temps y est saisie par l’élan poétique et sûr des regards et par une écriture ciselée. Quand on se surprend à la dérouler devant nos yeux se découvrent le doute et la mélancolie d’être au monde. Chaque poème de ce subtil livre est une réponse aux questions éternelles : où sommes-nous? qui sommes-nous? D’où venons-nous? Une réponse qui n’apporte pas de réponse d’une certaine manière. En tout cas, une recherche de l’absolu nourrit l’âme de la poète. Un besoin de totale vérité s’exprime dans ses poèmes pour conjurer la fuite du temps. “Le désespoir/est une retraite salutaire/un sommeil volontaire aux rêves dirigés/ on ferme les yeux le temps d’y voir plus clair”. La poète se fait démiurge en nous invitant à voir à travers les mots. Dans le miroir du temps? Dans le miroir de son rêve nocturne? Dans les retrouvailles inédites d’un dictionnaire perdu? Dans l’alliance avec la pierre? Retrouver ses anciens visages, ses peurs anciennes, les anciennes lois comme un désespoir absolu (“le désespoir d’avoir connu” dit la poète), interroger la lumière et son coeur mensonger, la destinée l’étrange destinée d’être là à scruter l’horizon des questions sans réponse, son coeur obscur, le désir glissant “sur la ronde du temps”: ces thèmes forts tissent la beauté de ce livre. Il est une raison supplémentaire d’entrevoir l’intention profonde de la poète: faire face à la mort (“vaine”) et au néant (synonyme de l’absence). Mort et néant ne seraient pas pour autant synonymes. Entre ces deux pôles, il faut tracer sa route nomade en poète qui affirme la beauté du monde mais constate sa noirceur. L’écriture douce et aride de ce recueil cherche les portes de la plénitude du présent. Ses mots sont malgré tout lumière contre la lumière illusoire du monde (car rien n’est qu’apparences). Elle le dit au fil de ses poèmes. Son coeur et son esprit se cognent contre le mur du temps. Mur-couteaux, mur qui inflige blessure à la mémoire du poète dont il restera quelques vestiges. C’est là le chagrin du poète.. .
Ce livre est de deux époques, daté ainsi: Les extraits du temps 1: 1982-1987 & Les extraits du temps 2: 1987-1990 imbriqué dans leur succession. Dit autrement: huit ans de notes et d’écritures sur le carnet du propre temps de l’écrivain. Ce livre est préfacé par le poète Guy Allix. Il souligne avec vérité le domaine de Marie-Josée Christien traversé par une infinité de voies et j’ajouterais de voix. Car la poésie de Marie-Josée est une poésie de l’écart, du grand écart, des saisons contraires, des points cardinaux qui nomment tout à la fois l’oubli et la grandeur de l’homme, la réelle tristesse de ne pouvoir atteindre l’horizon et de le transpercer de part en part et la blessure de l’enfance trahie puis la course désespérée vers un Dieu ineffable et introuvable. Mais sa poésie est gravée dans la pierre, dans sa Bretagne natale aux confins d’elle même. Ce qui est paradoxal dans cette écriture c’est la fulgurance et la beauté des images qui au coeur d’elles-même peuvent contredire les affirmations du poète sur l’illusion du monde. Voici quelques extraits florilège: “La mort pour un instant/ a cette fraîcheur de volubilis/La ville seule commerce d’ombre et de lumière/luit l’éphémère”, “Il a suffi /d’une alliance/avec la pierre/ les mots accourent / tout seuls comme l’amour/ prophètes/d’intenses lumières”, “Je sens la pierre/la terre une fois de plus/indubitables/ le plus beau monument humain/ le plus majestueux/le plus simple/ / Comme si une beauté très lointaine/m’était enfin rendue/ sans que je puisse comprendre davantage” (Barnenez), “L’arbre/fait le mort/ tout l’hiver/ sous la voix d’oracle/ du vent”, “Miracles de l’air/ nous vivons dans nos mémoires” . …
Marie José Christien m’a dédicacé ces extraits du temps condensé des instants de sa vie et précipité d’un temps qui dépasse le sien. Chaque poème alors devient une des clés du Temps (“la patrie” de la poète) pour trouver l’issue secrète révélée dans la pierre du poème. Ainsi surgissent les fleurs de la nuit de la poésie même.
Luc Vidal, le 2 avril 2016
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