Nicole Laurent-Catrice (textes) & Frédéric Hubert (illustrations) : La boîte noire
Frédéric Hubert
Il y a en nous un enfant qui pleure, dépouillé des contes
à dormir debout.
C’est son vrai visage. Ses jouets ne sont plus des jouets :
le cheval à roulettes d’où sortent des soldats en armure
avec leur épée. Il lui faudra aller à la guerre.
Il est à la fois l’enfant et l’ancêtre.
La guerre de Troie a toujours lieu.
Donnez-nous les larmes !
Entrer dans la chambre. Faire irruption comme ça,
sans prévenir, sans demander la permission.
C’est un peu cavalier tout de même.
Et la folle qui ouvre la porte et dit d’entrer.
Sauter à cheval par-dessus le chagrin.
Nicole Laurent-Catrice
Frédéric Hubert
Quelle idée aussi de s’habiller en rouge. Fière d’être femme déjà. L’amour qui s’exhibe, appelle… Et pourtant elle ne sait pas qu’elle a un corps que le loup veut manger. Elle n’a pas encore de visage. Elle n’est qu’une proie.
Il faudrait se sauver en courant. Mais elle, l’enfant, elle joue avec le feu, avec le leu, avec le leurre, car son heure est venue d’être trahie. Il lui faudra affronter ses démons. La curiosité et ce je ne sais quoi d’indéfinissable qui soulève sa chair. Frémissement d’enfance qui veut sortir de l’ignorance. Elle écoute le loup, veut jouer avec lui. Ce sera un jeu mortel.
Ce n’est pas dans la forêt que le loup la mangera, mais dans la maison. D’abord il se tape la grand-mère. Et la galette aussi à tant faire. Elle entrera dans le ventre du loup comme Jonas dans la baleine ou Lazare dans son sépulcre.
Le couteau du bûcheron pour la sortir de la panse, de la pensée. Elle n’a pas de couteau. Elle est la blessure.
Il aurait fallu apprivoiser le loup comme à Gubbio. Mais comment dompter la violence si on l’a en soi.
En jetant le loup qui est en nous, le loup lesté de pierres, oh ! Virginia, dans le cours de la rivière.
Et entrer dans les eaux profondes.
Nicole Laurent-Catrice
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Note d’intention
A partir des dessins faussement naïfs de Frédéric Hubert, Nicole Laurent-Catrice a réagi à sa manière.
Tantôt elle s’est emparée d’un détail pour rebondir sur des problèmes qui agitent la société d’aujourd’hui et que les dessins nous présentent comme un miroir (les migrants, les rapports entre homme et femme, la guerre, la violence, la mort, les avancées génétiques, l’art, la communication), tantôt elle laisse parler son inconscient qui met au jour les émois qui remuent l’âme : la peur, la volonté de pouvoir, la culpabilité, la sexualité, l’amour où une spiritualité tente de se frayer un chemin, hors de toute religion convenue, à travers les labyrinthes de la psyché.
Ni BD, – en effet les bulles sont restées vides, signe des interrogations non résolues -, ni poésie, ni véritablement poèmes en prose, ni traité de psychologie, ces courts textes sont un peu tout cela à la fois, souvent énigmatiques, parfois drôles, parfois poignants, ils recourent à tous les styles de langages, du familier au raffiné, du violent au tendre, du sarcasme à l’humour.
L’auteur aborde une forme d’écriture nouvelle pour elle, elliptique, hachée, pleine de sous-entendus que le lecteur peut percevoir ou non, accepter ou non, mais qui travaillent le texte à son insu. Tendres et naïfs, les dessins ne cherchent pas être jolis mais ils sont lourds de sens. A ceux qui savent voir viendra le savoir.
Nicole Laurent-Catrice
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