“Assis sur un coussin noir aux pommes vertes” de Olivier Duval avec des lipographies de Jacques-Pierre Amée
Un arbre sort lentement de terre – laisse
Monter à lui les fins rhizomes du silence
Et le chant des oiseaux qui jamais ne se lassent
Il grimpe à demeure dans mon corps
Où le vent caresse tous ses feuillages
Les oiseaux vont-et-viennent et s’envolent
L’esprit s’accorde au rythme têtu du train
Qui s’efface au loin aux gémissements du chien
Qui fait de mon cœur le terrain de sa plainte
Neuf recueils rythment le projet d’un Recueil sans fin. Ils sont nés de petites notes, autant d’échos à la pratique de la méditation assise. Ces notes se sont accumulées dans une valise d’ordinateur, sont devenues par relectures et réécritures des petits poèmes, comme autant de petites « barques » qui ont fini par s’assembler dans divers « mouillages » : ils se sont multipliés et ont été « canalisés »…
Assis sur un coussin noir aux pommes vertes inaugure cet ensemble qui tourne autour d’une expérience singulière et solitaire, étrangère à toute chapelle, mais sensible aux approches profondes du taoïsme et du bouddhisme Chan (Zen)… celle de la méditation assise, où il s’agit simplement d’essayer d’être un homme vrai en se détachant de toutes les petites fixations qui forgent ce qu’on appelle un moi.
Cette pratique de la méditation s’inscrit dans une curiosité assez partagée aujourd’hui : on peut s’en réjouir et entrevoir la redistribution des valeurs dont elle témoigne, ou craindre les effets de mode qui l’accompagnent… et interroger la dimension idéologique de cet intérêt si consensuel (dans un monde capitaliste et matérialiste dont on sait qu’il objective tout ce à quoi il touche).
Assis sur un coussin noir aux pommes vertes est le premier navire : un peu l’entrée en matière. Ce temps des découvertes polies par les années et les réécritures est devenue une randonnée accompagnée par les belles enluminures d’un vieux complice en amitié, Jacques Pierre Amée : il vit maintenant à Lunenburg (Nouvelle-Écosse), où il tient, comme toujours, double atelier (l’écrit — le roman, le poème — et l’art « plastique », ses deux ou trois dimensions, son théâtre) … avec vents et marées.
Les lipographies …
J’avais la passion de la gravure. Il a bien fallu que je m’arrête à l’agravure, si j’ose dire. Acides, encres, solvants, diluants etc. me sont en effet interdits : impératif santé.
Mais le processus d’élaboration des lipographies et la pratique des passages, l’impression multiple et numé- rotée, les épreuves, l’apparence, en font à mes yeux des estampes – ni plus ni moins.
Dès lors :
1/ Le graphie de lipographie est le même que celui de lithographie.
2/ Le lipo de lipographie, lui, signifie qu’il manque tout de même (cf. leipein, « enlever ») à l’image quelque chose d’essentiel (à chacun de découvrir ce qui manque), sinon la technique traditionnelle de la gravure.
Une lipographie est nécessairement lacunaire.
3/ Lipographie est une allusion au lipogramme (celui de Georges Pérec, par exemple – membre de l’Ouli- po, comme Queneau, Roubaud et Cie) : La Disparition, le roman/lipogramme de Pérec privé de tout e est caracté- ristique de cet exercice. Elle est aussi un hommage à « l’hippo à mare » (petit hippopotame de plastique orange) qui hante 20 000 photos d’un ami, un salut à l’Icare de Breughel (voir sa chute et sa fin dans l’eau) et à Li Po de Chine
(qui tomba également dans des profondeurs).
Le gras, aussi, que peut signifier « lipo », renvoie, pour ces lipographies, à l’épaisseur (virtuelle et réelle) de chacune d’entre elles : la chair d’une lipographie est faite en général d’innombrables éléments visuels (détails, parfois microscopiques, d’atelier ; fragments attrapés dehors, documents de toute nature etc.).
Enfin, je ne me sers pas d’une presse pour tirer sur papier une lipographie, mais bien, comme tout le monde, d’une imprimante « domestique » (je la malmène un peu).
Jacques Pierre Amée
Il y a mille chutes
Il y a la dernière au bout de la rivière
(Qui n’en finit plus de poursuivre son voyage)
Embrasse-la
Que la conscience acérée
Retrouve la paix
Sors en beauté
Dans la salutation au maître
Qui dort en toi – il se baigne toujours là
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