“Les lisières” de Éric Jaumier (poèmes) & Claude Margat (oeuvres)
Éric Jaumier est un électricien qui pense. Mais on pourrait tout aussi bien dire qu’il est un penseur qui résout les pannes électriques. Éric Jaumier est en résumé un penseur électricien mé- ticuleux. Sur le chemin de la pensée, les ouvriers qui pensent poétiquement sont aussi rares que les orchidées dans le désert. Soulignons que notre homme n’a rien de commun avec les nains littéraires à grosse têtes qui pullulent un peu partout dans le sillage des maîtres. La sphère de simplicité à l’intérieur de laquelle il évolue lui garantit la protection du réel auquel il se trouve chaque jour confronté, et sans doute doit-il à cette situation si particulière la densité dont ses mots sont chargés. Il a compris très tôt une chose essentielle : la liberté ne s’acquiert ni dans le désordre ni dans la confusion mais sous l’effet d’une contrainte consentie. Sa gentillesse natu- relle, sa patience dans l’approche des choses et des paroles qui fonctionnent feraient aisément oublier qu’il y a chez lui du « dur à cuire » si la force tranquille de ses poèmes n’était là pour le prouver, car il est bien la preuve que l’on peut quotidiennement accomplir une tâche difficile et même plusieurs sans devenir idiot. Il pourrait sans aucun doute en remontrer aux prétendus poètes qui manifestent ostensiblement un goût prononcé pour les banalités partagées, comme si les distractions faciles et futiles suffisaient à elles seules à justifier un passe-temps qui ne serait pas plus que le masque par trop visible des prétentions littéraires. Eric Jaumier écrit et pense aussi rigoureusement que lorsqu’il répare un circuit électrique endommagé. Il pèse ses mots, mieux, il en vit la pesée et cela le conduit à ouvrir un horizon très large, un espace englobant dans lequel l’expérience ne nuit pas à l’unité de la pensée. Il est en résumé un écrivain authentique. Ce n’est pas s’avancer beaucoup d’affirmer qu’aujourd’hui la pensée poétique est l’un des derniers espaces vivants qui restent, un espace où la langue peut s’affranchir des scories et des moisissures men- tales qui trahissent le passage destructeur des aboutissements de la distraction programmée. Il faut lire la poésie de Jaumier. Elle est un excellent remède contre l’asphyxie mentale. Il n’y a pas de pailles dans ce métal purifié dont le fil coupe un rasoir. Ce premier livre est déjà à lui seul un viatique pour appendre à poser son pas comme il faut. Mais il est tout autant la preuve que sous l’agitation frénétique et mortifère qui s’applique ces temps-ci à brouiller l’horizon du sens, une communauté authentiquement humaine existe bien à l’orée du silence qui s’étend et vibre de la surface de la terre jusqu’au fin fond de l’obscur infini.
Claude Margat
Claude Margat est né à Rochefort en juillet 1945 et y est décédé en novembre 2018.
Il était poète, essayiste, romancier, peintre mais également musicien.
Ses principaux ouvrages sont : Poussière du Guangxi, Daoren (l’homme du Tao), L’horizon des
100 pas, Matin de silence mais il y a également un livre d’entretiens avec Bernard Noel : Questions de mots. Toi tu marcheras devant, un dialogue avec JL Parant.
Claude a très souvent animé sur Rochefort de nombreuses rencontres avec des écrivains ou des éditeurs, voire des éthnologues, ainsi grâce à lui nous avons pu écouter lors de lectures pu- bliques, Claude Louis Combet, Bernard Noël, Philippe Descola, Maurice Nadeau, Luis Mizon, Michel Camus, Alain Gheerbrant et j’en passe.
Pour ce qui est des deux « caricatures » parmi les photos c’est ce que Claude appelait les An- humains, moues d’homme ou de femme qu’il croisait au hasard des rues et qu’il s’empressait de croquer une fois rentré dans son modeste atelier, façon d’exorcismes si on va par là.
C’est ce qu’il a lui même expliqué dans son livre Exorcismes aux éditions Hesse.
Éric Jaumier
L’unisson
à croire
que le paysage
lui même prend
le pinceau
par le vide impeccable
de la main.
*
Élan
la montagne
vient
se replie
grandit
dans l’œil
abécédaire
l’horizon tisse
sur la langue
une fable
dans la fable.
