“Le Delta de la nuit” de Flora Beillouin & Luc Vidal
Gravures originales de Flora Beillouin
Préface
Ce livre est né d’une rencontre, une journée d’été caniculaire sur la petite île de Béhuard. Le marché de la poésie, organisé par les éditions Traumfabrik, « La fabrique du rêve », distillait sa magie dans une temporalité en suspens.
Entre deux lectures sous l’arbre, la conversation s’est égarée quelque part sur les rives de la Loire et du Styx, à l’estuaire de la mythologie et du féminisme. Ne pourrait-on pas imaginer, à deux voix, revisiter l’histoire d’Orphée du point de vue d’Eurydice ?
La journée s’est achevée sur la promesse d’une correspondance entre le texte et l’image. De la maison d’édition nantaise à l’atelier de gravure d’Oaxaca. Puis nous avons brodé ensemble ces fragments, qui se sont peu à peu fait l’écho de ce mystérieux mantra de Louise Bourgeois : I have been to hell and back, and let me tell you, it was wonderful.
La Montagne aux sept couleurs, inspirée d’une incursion réelle dans les mines à ciel ouvert du nord argentin, questionne le rapport à la terre matricielle et à l’inframonde, l’hypothèse d’un renoncement volontaire à la vie. Le prénom perdu et le phénix, poème fleuve, évoque quant à lui une ultime réconciliation au bord de l’abîme, une renaissance possible au rythme des saisons.
Le Delta de la nuit est dédié au poète Francis Krembel, sans lequel cette rencontre n’aurait pas eu lieu. Il s’ouvre sur sa dernière exhortation à la révolte et à l’espoir : « La poésie ne sera pas qu’une île, mais notre univers en expansion, car c’est ce combat que nous menons. »
Flora Beillouin
Sisa / Chant 3
C’est la première fois que je vais au village.
Notre procession avance en chantant pour se donner du courage,
et d’autres familles d’éleveurs nous rejoignent,
mêlant leurs voix aux nôtres.
« Pachamama,
Tu es l’espace, le temps, le cosmos,
la mère de toute chose
et tes fidèles sont venus t’honorer. »
Lamas, vigognes, brebis, guanacos
balancent fièrement leurs ornements de laine dans le vent glacial.
Chacun a sa couleur, le sceau qui le ramènera au troupeau
après s’être dispersé
dans la plaine.
Ils ignorent tout du sort funeste qui leur est réservé.
Et nous marchons à leur rythme.
Leur souffle nous rassure.
……….
Flora Beillouin ( extrait)
L’enfant regarde longuement le bleu miroitant et lisse de la toupie
Son pouce et son index firent pression sur son sommet la roula entre ses deux doigts
et d’un geste rapide ample et précis la jeta sur la dalle ardoisée et plane
Elle tourne elle tourne ainsi comme une terre bienfaitrice et rayonnante
Orphée enfant fut cueilleur d’étoiles
La fuite incessante des heures leurs dahlias noirs de l’automne
un souvenir insaisissable et pourtant présent au parfum indéfinissable
comme une rose de janvier qui emplit la poitrine d’Eurydice
L’arbre mimosa de l’hiver est beau comme un cœur aimant
les mots du poète sont les coursiers de l’avenir…
Luc Vidal (extrait de Le prénom perdu et le Phényx)