Josette Digonnet illustre un poème de Luc Vidal : “Ceci & cela ou Cela & ceci”
Ceci & cela ou Cela & ceci
La poésie pourrait être
Ceci
Ce vêtement bleu que tu portes sur tes épaules tissé dans l’étoffe du temps
Les ailes de l’occident aimant tes bras d’Orient sur le balcon de la nuit promise
Les mains de la nuit caressant ton visage dans la maison du verbe aimer
Tes paroles : « je suis dans le bus et t’appelle quand j’arrive »
les mots d’un poème te berçant heureusement sous le cèdre d’un pays réconcilié
leurs palabres signant des refrains subtiles et enchanteurs
Cela
Un rêve rouge-mandala dans une yourte
Des mains sûres qui décompliquent le doute
La mer en allée avec Rimbaud à la clé
Un art du toucher vrai comme les doigts mélancoliques du couchant
des enfances reconquises avec les cris sincères du silence
La Fleur inverse qui floconne dans le ciel-miroir de l’âme
Un temps de neige imprévu qui rafraîchit la mémoire
Un feuille à feuille précieux comme des chandelles de la nuit
Le poète-Prince Jaufré Rudel qui inventa l’amour de lonh
et qui aima au XII ème siècle une princesse libanaise
Ceci
La poésie rêvant d’une femme photographe
qui pour le sourire d’une rime dégraphe
son corsage de nuit et de folie
La poésie est une pierre noire qui voudrait faire son lit
dans ta chevelure et ton sexe secret de la lumière
Une blessure où meurt la mer comme un chagrin de chair d’après Léo Ferré
Une histoire fantastique comme un drap qui vous enveloppe
dans La fée aux miettes de Charles Nodier
Cela
Un oiseau bleu couleur du temps entrant par la fenêtre
Une chambre d’échos sur la partition de la journée
Un refrain égaré dans les baisers du silence
Une femme diaphane qui fait chanter le silence
Un petit garçon qui plonge ses regards dans les yeux d’un petit chat
Richard taillant et murmurant à cor et à cri
les émaux de son théâtre Axel Toursky
Un dessert guadeloupéen baptisé tourment d’amour
L’ombre d’un dieu qui te hèle sur les ailes du temps
et qui vibre dans la poésie de Zahra Mroueh
Un poème Némesis pour que l’aventure mesure et vérifie la folie d’un poème
L’amour, la mer, la mort affichés aux trois fenêtres de la chambre du poète Charles Cros
Etreindre le secret des mots dans leur bogue impénétrable
et traduire comme une invention de la clarté la nuit des palabres
Ceci
Un carré d’as gravé sur la table de songes
Un feu circonscrit par le verbe chérir de la belle folie
Ce sentiment majeur qui fleurit dans le creux des ventres
Un vent fou qui sème les grains des mots dans les soleilstudes du coeur
Des oiseaux nocturnes qui comprennent la mélancolie d’un chien perdu
Les couleurs d’un rêve qui cherche sa photographie
La marque sublime des «vérités premières de la terre»*
Le noir intense et irisé à la naissance des vrais baisers
Un grand élan vif et étoilé quand tout semble en dormance
Le rire des voyelles sous la lampe dans la bouche gourmande d’une femme
Iselberg** ou un poète qui connaît la musique des mots anciens
Cela
Un signe lumineux et insondable comme l’énigme du plaisir et du sans nom
Ce livre oublié dans les bras accueillants de l’avenir
Une barque à la dérive qui ne perd jamais le nord
La vie rêvée écrite et sublimée par le Prince des lisières René Guy Cadou
L’infinie solitude des carapaces qui n’écoute plus les chansons d’amour
Des mots qui conspirent pour la liberté des hommes
La solitude qui boit une gorgée de tendresse à la santé des amants
le chant des oiseaux qui parfume les villes
Ceci & cela ou Cela & ceci
La poésie qui va où le vent la mène parce qu’elle est le vent même
Les lumières d’Espagne quand Góngora fait alliance avec Lorca
Des portes battantes au détour du chemin ouvertes par le clair sourire de Robert Desnos
Une épaule nue qui accueille la vérité des phrases et leurs fleurs de sang
Des ferments de nuit avec un chagrin à la fenêtre d’Eurydice
Des cerisiers noirs des stères bleues dans l’été indien
d’Amérique avec Walt Whitman à notre chevet
des « fées aux cheveux verts qui incantent l’été » selon Guillaume Apollinaire
Un poème fauve qui ne sera jamais écrit par la mélancolie de l’automne
Benjamin Péret traduisant Octavio Paz en Pierre de Soleil***
Un jardin-Paraclet qui fait rugir les coquelicots persistants du langage
Des mains prospères qui touchent la peau de ton corps astral
Une pénombre bleue qui libère le miracle d’aimer
Ceci & Cela ou Cela & Ceci c’est larguer les amarres sur des chemins étoilés
Luc Vidal, décembre 2019 janvier 2020, à Nantes
* Ce court extrait vient du livre de Zahra Mroueh Comme un chant égaré, Petit Véhicule
** Iselberg est le titre d’un livre de Claude Bugeon, Petit Véhicule
*** Péret a traduit Octavio Paz, éd. Gallimard in Liberté sur Parole