“Tisser le dire” de François Minod & Catherine Seghers
LE PRESQUE RIEN – On flirte avec le presque rien, ce n’est pas bien vendeur, mais on continue tout de même. – Finalement, on pourrait se passer du presque, mais qu’est-ce qui resterait ? Un temps très long. (François Minod)
POSTFACE
Ouvrir un recueil de François Minod, c’est une certaine manière d’entrer par effraction dans un univers de mots qui sont les nôtres, chaque jour, parfois, sinon toujours, et d’avoir ainsi la sensation qu’ils nous ont été dérobés. Il nous aura prévenus : Parfois, je prends un mot qui traîne par là et je l’emmène au pays des mots-dits. On pourrait alors avoir l’impression de déjà-vu, déjàlu et le quitter, pas-vu, pas-pris.
Mais François Minod a placé de page en page un certain nombre de leurres qui entravent le lecteur, l’obligent à s’arrêter, à s’entendre dire, à s’écouter lire. Il y a le risque de l’évidence de La Question, qui en dit long sur la difficulté de la réponse et dont les majuscules soulignent l’importance.
Les textes de François Minod nous importent. Ils nous mènent à une zone intermédiaire, dans le noir clair où le dialogue avec soi et l’autre, confirme le pouvoir corrosif de l’humour, pour laisser deviner l’espace déchiré du dedans.
Des voix surgissent, bruissantes de questions. Ce sont les nôtres. Celles que nous pose le monde alentour, celles qui traitent de nos affaires de jour, de nos affaires de nuit. Nous suivons des personnages qu’on devine en coulisse, qui n’attendent que ça, qu’on vienne les chercher dans le magasin des accessoires.
Il faudra tenir compte d’un dernier aveu : Écrire c’est croire que quelqu’un va entendre ce que tu dis. Nous sommes sur les traces laissées par l’empreinte des mots. Il convient juste de nous les entendre lire.
« Inhabituels, originaux, captivants certes sont les jeux imaginaires que présentent à nos yeux les tableaux de Catherine Seghers. En vérité, comment ne pas être sensible à la jolie matière et au très agréable choix des couleurs douces : gris bleu, gris rose, gris violet, bistre grisé ou rosé, terres pâles, qui peignent ici les fonds comme le décor, le voile des vêtements ou la peau des êtres étranges qui les habitent. Est-ce parce que je me sens si proche du Japon aujourd’hui que je trouve un accent japonais dans l’expression de ces rêveries, où jouent un grand rôle, me semble-t-il, le hasard et la destinée et les instruments qui devraient permettre de « jouer » avec l’un et l’autre ? Avec plaisir en tout cas, car les occasions d’être charmé ne sont pas nombreuses, je m’abandonne au charme troublant de ce jeu d’images fantastiques. »
André Pieyre de Mandiargues

ÉCRIRE
Écrire, c’est croire que quelqu’un va entendre ce que tu dis. Écrire, c’est entretenir ce leurre-là, le nourrir, même si ce quelqu’un – et tu le sais au fond – c’est toi, l’autre de toi. C’est ça le leurre. Tant que ça marche, tu continues, et puis vient un moment où le leurre se démasque et tu te sens un peu abusé par ce que tu as créé. La vitre s’est brisée, tout est possible alors. Le leurre n’a plus lieu d’être, tu es seul, tu as perdu ton reflet, ton ombre s’en est allée, et tu continues à marcher tout de même, le soleil est au zénith et tu marches et tu transpires, il fait chaud dans ce désert, tu ne sais pas t’arrêter ou tu ne peux pas, c’est pareil, tu marches comme ça, pour rien, tu sais que si tu t’arrêtes, c’est fini, alors tu marches sur cette route droite en plein
soleil dans ce désert – nuage de poussière, essaim de mouches bleues –, ta silhouette se perd, peut être n’as-tu jamais existé, peut-être n’étais-tu que poussière, leurre de poussière qui s’évapore au vent.
François Minod