Connaissez-vous Pierrick Hamelin ? : Voici des textes récents
Les philosophes aiment les mots, un peu trop peut-être…
Pour opérer des mutations de la pensée, il faut parfois passer par la création de nouveaux mots, des
mots-outils, des concepts, dit-on en philosophie. Jean Wahl, au milieu du siècle dernier, avait bien
remarqué ce besoin, chez des philosophes contemporains, d’inventer des mots pour avancer dans
leurs recherches[1]. Gilles Deleuze, quarante ans plus tard, en fera d’ailleurs le propre de la
philosophie : « La philosophie, dira-t-il, est une discipline qui consiste à inventer des concepts »[2].
Il fut en la matière, reconnaissons-le, plutôt doué. On se souvient de ces quelques mots et
expressions : déterritorialisation, heccéité, machines désirantes, planomène, et bien d’autres…
En fait, nombreux, à y regarder de près, sont les philosophes qui ont inventé des mots, et si par jeu
on devait les distinguer, nous pourrions former, sans hiérachie aucune et nullement fermés les uns
aux autres, plusieurs groupes :
• Les artistes minimalistes (par exemple la différance de Derrida…) ;
• Les jardiniers qui sur de simples mots opèrent des greffes plus ou moins heureuses (la
comprésence de Alexander, le biopouvoir de Foucault…) ;
• Les malins qui empruntent des mots anciens et les déshabillent pour les habiller autrement,
avec une nouvelle signification (le noumène de Kant…) ou bien s’amusent à fabriquer un
mot pour en éviter un autre (métempirique de Jankélévitch, sans doute pour éviter
métaphysique…) ;
• Les jongleurs qui sortent de leurs vieux sacs philosophiques des termes grecs et jouant de
l’ambiguïté inépuisable de certains mots, les font pirouetter et tourner sur eux-mêmes (le
pharmakon de Steigler…).
• Les poètes qui en un tour de main à la fois esthétique et intellectuel réenchantent notre
sentiment de l’existence par de jolies formules (l’illusion vitale de John Cowper Powys…) ;
• Les bricoleurs – ils le sont tous plus ou moins – parfois géniaux, parfois maladroits ou
disons peu attentifs à l’esthétique de la langue (le superjet, substitué au mot sujet de
Whitehead…), d’aucuns se lançant quelquefois à leurs risques et périls dans des
constructions audacieuses ( l’épiphylogénèse de Steigler…).
Tous ces groupes – parmi bien d’autres, évidemment, et avec d’autres exemples (chacun fera sa liste
…) – ont souvent dû se confronter aux restaurateurs d’orfèvrerie qui eux n’en finissent pas de polir
toujours les mêmes concepts et surtout n’inventent rien…
Histoire de les consoler, nous invitons les philosophes qui ne veulent pas passer pour des
conservateurs, mais n’arrivent pas pour autant à créer des mots ou concepts nouveaux, à relire
Nietzsche qui leur rappellera que de toute façon, mot après mot, invention après invention, « les
mots nous barrent la route ! Partout où les hommes des premiers âges plaçaient un mot, ils croyaient
avoir fait une découverte. Combien en vérité, il en était autrement ! Ils avaient touché à un
problème et, croyant l’avoir résolu, ils avaient créé un obstacle à la solution. Maintenant, pour
atteindre à la connaissance, il faut trébucher sur des mots devenus éternels et durs comme la pierre,
et la jambe se cassera plus facilement que le mot. »[3]
[1]Jean Wahl, Les philosophes dans le monde, Cahier du Collège Philosophique, éditions Arhaud,
1947.
[2]Gilles Deleuze, conférence : Qu’est-ce que l’acte de création ? Fondation FEMIS, 17 mai 1987.
[3]Friedrich Nietzsche, Aurore, §47, éditions Robert Laffont, collection Bouquins, p 998.
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